Il faut caresser le petit chat qui se trouve à la fin de chaque histoire pour revenir au sommaire

Petite histoire pour Célia, Daphné et Alexandre


Bulles


    - Ah ! j’ai bien dormi fit Alexandre en s’étirant. Je me croyais sur un nuage...
    Et il se retourna sur son lit se préparant à se lever pour aller voir si Célia et Daphné, sa grande soeur et sa soeur jumelle étaient réveillées.
    Mais, au moment de mettre le pied par terre, il se rendit compte qu’il n’était pas dans sa chambre :
    - Où suis-je ? où sont les murs de ma chambre ? Je suis vraiment sur un nuage. Je ne rêvais pas !
    Eh oui ! le petit Alexandre était sur un nuage.



Vous savez ce que cela veut dire “être sur un nuage”. On emploie cette expression pour dire que tout marche pour le mieux et qu’on est aussi heureux qu’il est possible de l’être. Bon. Mais cela ne nous dit pas ce qu’Alexandre faisait sur ce nuage.
Il faut que je vous explique. Voici ce qui s’est passé. Alexandre aime beaucoup les BD, ces histoires en dessins où les personnages parlent dans ce qu’on appelle des bulles :


Alors voilà. Alexandre qui venait de rentrer de l’école était en train de lire une bande dessinée. C’était-une-histoire-à-dormir-debout-qui-racontait-comment-une-bande-de-lapins qui-était-venue-manger-des-carottes-dans-le-jardin-du-presbytère-et-qui-était-en-train-de-faire-une-partie-de-ballon-avait-été-mise-en-fuite-par-un-vieux-chien-sourd-qui-avait-été-réveillé-par-le-bruit-que-les-lapins-faisaient-en-tapant-sur-le-sol-comme-font-tous-les-lapins-c’est-pourquoi-on-les-voit-en-train-de-jouer-du-tambour-dans-les-vitrines-des-magasins-de-jouets...

Alexandre était bien fatigué. Il était allé à la piscine aujourd’hui, il avait joué au ballon, lui aussi, il avait couru toute la journée et il commençait à s’endormir. Au moment où cette histoire se passe, Alexandre est en train d’apprendre à lire à l’école. Et, pour suivre les mots et les phrases, il fait comme tous les petits enfants, il met son doigt sur le mot et il suit la phrase au fur et à mesure qu’il la lit :
“A-rrê-te-de-me-pous-ser-di-sait-le-pe-tit-la-pin-au-plus-grand-tu-me-prends-tou-jours-le-ba-llon !”
Bon. Pour lire les bulles, Alexandre mettait donc son doigt dans la bulle.


Mais est-ce que vous savez ce que deviennent les bulles quand on referme le livre ? Vous pensez bien qu’elles ne restent pas là sur le papier, coincées entre les pages à se tourner les pouces en attendant le prochain lecteur. Quand les bulles ne travaillent pas, elles s’envolent. Bien sûr, elles s’arrangent entre elles ou font les trois huit pour qu’il y ait toujours quelqu’un quand un enfant à envie de lire l’histoire. Comme les bulles de savon, leurs cousines, qui ne pensent qu’à jouer les filles de l’air quand on les a soufflées et à aller s’éclater dans les nuages, elles aiment s’envoler dans les airs. Avec cette différence, toutefois, que les bulles de savon, qui n’ont rien dans la tête, ne reviennent jamais, tandis que les bulles de BD, elles, qui ont la tête pleine et connaissent leur histoire sur le bout du bec, reviennent toujours dans le livre. Sans elles, l’histoire n’aurait ni queue ni tête. Les bulles s’envolent parce que les mots dont elles sont remplies sont plus légers que l’air, comme les ballons d’anniversaire.


clique et les ballons vont s'envoler !

(La preuve, c’est que lorsqu’on met un gros mot dans une bulle, celle-ci ne s’envole pas - enfin, en général)
Donc, quand Alexandre s’était endormi, il était en train de lire une bulle et il avait laissé son doigt sur la bulle. Et quand la bulle a décollé, elle avait déjà la tête ailleurs et elle ne s’est pas rendu compte que le petit Alexandre était accroché à son bec.

bec de bulle : *

Alexandre était donc parti en voyage avec la bulle. Il dormait parce qu’il était très

fatigué. Mais, comme dans un rêve, il voyait très bien tout ce qui se passait. Il

montait, montait dans le ciel. Il voyait les champs, les arbres et les maisons

devenir de plus en plus petits.


Alexandre montait, montait dans les nuages.
Bientôt, il vit la terre de très très haut, comme les cosmonautes peuvent la voir de leur vaisseau spatial. Voici ce qu’il découvrait de là-haut en tournant autour de la terre :



- Est-ce que tu reconnais les continents ? demanda la bulle à Alexandre.
- D’accord, c’est super-chouette, répondit Alexandre. Mais tu voles beaucoup trop haut ! Je ne vois ni l’île de la Réunion ni la forêt de Saint-Germain !
- Bon ! dit la bulle. Je vais descendre un peu. D’ailleurs, à cette altitude il fait un froid de canard.** Nous allons rentrer dans l’atmosphère et nous réchauffer un peu. *
- Ah! c’est bon le soleil ! fit Alexandre. Est-ce que tu peux me parachuter sur l’île de la Réunion ? Je vais aller dire bonjour à mon papa.
- Facile ! répondit la bulle.
Inutile de dire que le papa d’Alexandre fut drôlement étonné de voir arriver son petit Alexandre :
- Ah ça alors ! Quelle surprise ! je suis justement en train d’écrire une histoire dont le héros est mon petit Alexandre qui se balade dans les nuages avec une bulle de BD et le voici qui arrive ! C’est vraiment magique !
- C’est normal, dit la bulle qui était restée au-dessus de la tête d’Alexandre. Quand on pense très fort à quelque chose, il arrive que cette chose se réalise. Bon ! faut pas rêver. C’est pas de la magie. C’est tout simplement que, lorsqu’on veut très fort, on fait tout pour réussir et, en général, on réussit...
(C’est pas possible, cette bulle a dû illustrer autrefois les dialogues de Platon ! pensa papa étonné.)
- Dis donc, tu dois avoir faim Alexandre après un aussi long voyage. Tiens ! j’ai fait des oeufs sur le plat.

- Et ta copine la bulle ? elle mange quoi ta copine la bulle ?
- Donne-lui une pastèque, répondit Alexandre. Les bulles ça aime tout ce qui est rond (même si certains dessinateurs leur font une tête au carré).

- Bon salut papa ! dit Alexandre après avoir mangé ses oeufs au plat et s’être essuyé les moustaches. Je repars. Daphné et Célia m’attendent car on doit faire une partie de sept familles...
- Va mon grand ! c’est gentil d’être venu me faire un petit bisou.
Et voilà Alexandre qui s’envole de nouveau, accroché à la bulle.
- Tiens ! Je reconnais l’aéroport Roland Garros ! Il n’a pas changé, sauf de nom : avant il s’appelait Gillot.
- Salut les endormis ! dit Alexandre.
- Pourquoi les endormis ? demanda la bulle. Tu trouves que les Réunionnais sont endormis ?
- Mais non ! lé pas mol lé Rénioné ! C’est parce qu’à la Réunion, c’est ainsi qu’on appelle les caméléons.


- Bon ! dit la bulle, nous allons remonter vers le nord. Comme les avions qui vont à Paris et puis nous allons nous promener un peu. Tu vois Alexandre, la terre, c’est comme une orange. Nous remontons vers l’équateur. Hop ! Nous sommes déjà au Kenya. Tu reconnais le drapeau ? C’est le drapeau du Kenya. Il y a un bouclier dessus. On croirait un scarabée.

Quand je dis que la terre est comme une orange, je ne veux pas dire une orange comme ça, reprit la bulle.
C’est tout simplement parce que, sur les cartes du globe terrestre, sont dessinées des lignes qui font comme des quartiers d’orange. Ce sont les fuseaux horaires. Quand il est dix heures à Paris, il est midi à la Réunion, etc.
Il y a aussi d’autres lignes, horizontales cette fois, comme celle de l’équateur, qui divise le globe en deux.
- Et la Réunion, elle est sur quelle ligne ? demanda Alexandre.
- La Réunion est la moitié au nord et la moitié au sud. Peut-être est-elle sur l’équateur, répondit la bulle malicieusement.
Du ciel, on voit tout ce qui se passe sur la terre. Les hommes et les animaux se retournent quelquefois et regardent s’ils ne sont pas suivis. Mais ils ne pensent jamais à lever le nez au ciel pour s’assurer qu’il n’y a pas quelqu’un qui les observe. Quand on leur demande : - Comment tu le sais ? Les parents répondent :

*

- C’est mon petit doigt qui me l’a dit. Façon d’avertir qu’ils ont l’oeil et que ce qui est petit se glisse partout, sait tout, voit tout, entend tout. Mais du ciel c’est encore mieux.
- Regarde Alexandre ! dit la bulle, tu vois ce gorille qui se prend pour Tarzan ?
- Tiens ! il y a un arc-en-ciel là-bas. Viens ! on va lui grimper sur le dos.
Et hop ! voilà la bulle et Alexandre sur le dos de l’arc-en-ciel.
- Tu sais à quoi ça sert les arc-en-ciel Alexandre ? demanda la bulle.
- Ben ça sert à faire joli dans le ciel pour les yeux des enfants quoi !
- Bon d’accord. Mais ça sert aussi à autre chose. Tu vois, nous survolons l’Amérique du sud en ce moment. Et bien, regarde là-bas, ce grand serpent avec des reflets de toutes les couleurs. Il s’appelle le boa arc-en-ciel.

On dit que l’arc-en-ciel, c’est en réalité un serpent. Il apparaît dans le ciel quand il y a de la pluie et du soleil. Tu as remarqué qu’on ne le voit jamais quand le ciel est tout bleu ? C’est parce qu’il apporte la pluie. Quand il n’a pas assez plu quelque part, hop! comme un tuyau, il aspire l’eau d’une rivière ou d’un étang et la déverse par l’autre bout là où les plantes ont soif. Tu sais, quand on m’a raconté cette histoire quand j’étais petite - parce que je n’ai pas toujours été une grosse bulle comme je suis aujourd’hui - eh bien figure-toi que je ne l’ai pas crue ! Mais je me suis dit : “Comment expliquer qu’on trouve les mêmes espèces de poissons dans toutes les mares et dans tous les étangs ?” Comme les poissons ne marchent pas et ne peuvent pas vivre hors de l’eau, il n’y a qu’une explication possible : quand l’arc-en-ciel pompe l’eau quelque part, il avale et recrache les poissons en même temps... D'ailleurs regarde ! il y a une truite arc-en-ciel qui est en train de passer dans l’arc-en-ciel sur lequel nous sommes à cheval (c'est d'ailleurs au cours de ce voyage qu'elle attrape ces jolies couleurs qui permettent de les distinguer des truites endémiques... ceux qui ont voyagé ont en effet plein de couleurs dans la tête).

C’est à ce moment-là que le petit Alexandre s’est réveillé. Cette histoire d’eau, de vidange et de tuyau lui avait soudain donné envie d’aller faire pipi...


Votre papa qui vous aime pour toujours